Arielle de Brichambaut - Par Virginie Jacoberger-Lavoué

Par Virginie Jacoberger-Lavoué

Spécialiste des arts de la table, elle excelle dans la décoration sur porcelaine mais elle est aussi un artiste animalier à part entière. Les plus grands, Hermès, Haviland & Parlon, Pierre Frey, Christofle…, se disputent son talent. Portrait.

Des courbes qui serpentent ou des tissages habiles de lignes qui s’affinent, ses dessins non figuratifs émerveillent tout autant que ses représentations animalières. Jugez plutôt : voici des plumes qui s’envolent de légèreté et de finesse, des papillons qui virevoltent tout en velouté de teintes chatoyantes ou encore de fabuleux insectes si minutieusement exécutés qu’ils paraissent s’agripper à la toile de leurs petites pâtes crochetées. Le style d’Arielle de Brichambaut, c’est un peu tout cela, un mélange de précision et de poésie, un trait précis mais délicat, à la fois léger, féminin et acéré. Elle est tout à la fois peintre naturaliste sensible et artiste animalier rigoureux, et dans ces deux exercices, l’un de ses atouts est de ne jamais manquer de spontanéité.

La nature, elle la connaît bien, elle l’observe et l’apprivoise depuis sa plus tendre enfance au côté d’un père ornithologue émérite dont elle reconnaît l’influence.

Aujourd’hui, lorsque l’envergure d’un gibier d’eau ou l’équilibre des pattes d’un insecte lui posent problème, elle consulte Claude Nature (Paris Ve), « une maison authentique avec de très belles collections, qui partage ses connaissances sans objectif commercial ! », souligne-t-elle. Son frère, Hervé, y travaille et est connu des grands collectionneurs pour sa solide érudition sur les papillons, les fossiles ou le grand gibier. « Je suis née avec une boîte de couleurs. Notre père nous a très tôt initiés au dessin en même temps qu’il partageait ses connaissances. Ses retours d’expédition avaient quelque chose de fabuleux, nous découvrions de nouvelles espèces d’oiseaux et nous pouvions les observer à loisir », se souvient-elle.

Lycéenne, elle admire déjà les peintres naturalistes (Desportes, Oudry), a une vraie passion pour l’âge d’or hollandais et déjà un beau coup de crayon, mais, modeste, s’oriente vers un diplôme de professorat pour enfants. Travailleuse et pédagogue, elle le réussira brillamment tout en suivant des cours d’égyptologie au musée du Louvre. La maîtrise de son art est déjà si évidente qu’on l’encourage à poursuivre sa formation. Elle s’autorise enfin à réaliser ses rêves et suit l’enseignement de l’Atelier Clouet pendant un an pour préparer le concours d’entrée à l’école des beaux-arts de Paris. Elle y sera admise en 1983 et obtiendra son diplôme avec la mention bien. Toujours perfectionniste, elle parachève sa formation en étant, à partir de 2007, copiste au musée du Louvre, où elle exécute autant de portraits et de natures mortes que de marines.

Entre-temps, les grands noms des arts de la table et du luxe la demandent. Dans ce domaine, l’aventure commence en 1986 par un coup d’audace.

Arielle, qui n’a jamais quitté son appartement familial de la rue d’Anjou où elle a fondé son atelier, débarque au culot avec ses cartons à dessins chez Christofle, rue Royale. Son travail est si convaincant que cette maison lui donne carte blanche pour créer des dessins d’arts de la table qui donneront très vite naissance à deux services devenus légendaires, le “Torsade” (1986) puis le “Rubanéa” (1987). Suivront des commandes pour la maison italienne Mancioli, puis pour Pierre Frey, une maison pour laquelle ses subtiles créations sont aussi devenues des classiques : “Chantecler” (1987) puis “Bracieux” (1989).

Pour chacun, elle imagine un univers, impose un style propre au gré de traits délicats et de compositions épurées et contrastées. Alors que nombre de jeunes artistes s’époumonent dès le frémissement du succès, la discrète Arielle aime travailler dans l’ombre. Pour autant, la pertinence de son travail est reconnue tant dans le secteur des arts de la table que dans celui du luxe et même de la mode. Elle réalise pour Carven (en 1990) le premier service de table de la maison de couture. Elle prête son talent à la maison Lanvin, à Haviland & Parlon et à Porcelaine de Paris pour laquelle elle réalise en 1989, entre autres projets, un service de table “Tancrède” inspiré du Guépard, le célèbre film de Luchino Visconti.

Dans un juste équilibre des proportions, ses œuvres naissent souvent d’un élan de générosité. « Notre métier repose en grande partie sur l’écoute ; ensuite il faut faire de son style un atout en l’adaptant à ce qui définit chaque maison ; et enfin il faut se renouveler sans cesse », nous explique Arielle de Brichambaut. Parmi les courants artistiques et les artistes qui continuent de fortement l’influencer, il faut citer l’art roman et les arts asiatiques avec une véritable vénération pour les maîtres de l’estampe japonaise Hokusai et Hiroshige. Autre passion, un culte voué aux enluminures du Moyen Âge et aux dessins de Victor Hugo. Méthodique et méticuleuse, elle exécute tant des séries d’œuvres naturalistes (plumes, papillons, scarabées…) pour des expositions que des services de table chargés d’évocations exotiques ou historiques.

À la table d’Arielle, l’artichaut cultive son apparente délicatesse pour Odiot (1993), le Nouveau Monde devient “plat principal” de Porcelaine de Paris et Syracuse offre sa chaleur méditerranéenne en un camaïeu de tons or, sable et turquoise pour Haviland & Parlon (2007), un service de table si demandé qu’il sera décliné l’année suivante dans les tons de vieux rose et amarante.

Grâce à un don d’observation presque scientifique, Arielle donne à ses sujets naturalistes ou animaliers une précision qui plaît aux spécialistes mais elle fascine aussi par ses solides partis pris. Car, si l’artiste est discrète, elle ne manque pas pour autant de personnalité. Plus une idée est généralement répandue, plus elle se hérisse contre elle. Son œuvre n’a rien de convenu.

Elle a créé en 2005, pour Hermès, un service tout en courbes baroques teintées de vermillon, “ Balcons du Guadalquivir ” qui a fait sensation. Il figure parmi les meilleures ventes des arts de la table d’Hermès et vient d’être décliné cet automne en version platine noir après avoir été habillé d’or avec succès.

Sans filet, Arielle de Brichambaut invente des histoires sur porcelaine. Sa caractéristique est d’accomplir avec ses crayons de couleur un travail nourri de lignes franches, de courbes arrondies, conjuguant intensité du sujet et légèreté de l’approche stylistique.

Son talent fuit la désinvolture mais il n’est jamais corseté dans une esthétique trop académique, il respire et cultive avec sûreté une belle harmonie. Aujourd’hui, on la réclame chez les plus grands et elle vient d’honorer plusieurs commandes de la maison Hermès !

Virginie Jacoberger-Lavoué